top of page

KESKSEK #1 - Généralités sur les spécificités du cinéma

Bonjour, bonsoir, salut, yo, rayez la/les mention(s) inutile(s).

Pour ce premier épisode de Kesksek, je m’excuse d’avance mais ça me semble essentiel pour la suite, on va reparler de points que j’ai déjà évoqué auparavant, notamment dans mes critiques sur Blue et Spotlight, à savoir l’utilisation des outils qui font d’un film… un film… Mouais… C’est pas super bien dit, mais avançons.


Avant tout, même si le but ici est de parler de cinéma, je vais essayer de ne pas en parler en tant que média en tant qu’art et que façon de faire, ce qui inclue donc les téléfilms et les films DTV (en partant dans cette direction on pourrait même y inclure les séries) même si ces films ne font pas partie du cinéma. La Classe américaine par exemple, ça n’est pas du cinéma. Duel de Spielberg, non plus. C’est pas une question de qualité ni un jugement de valeur, c’est une question de média et de terminologie. Ça n’est pas du cinéma, c’est tout. C’est pour ça qu’ici on va rassembler sous le terme générique cinéma tout ce qui constitue "simplement" un film.


La Jetée (1962) de Chris MARKER - film expérimental,

certainement le meilleur film de la Nouvelle Vague française,

remaké en 1995 par Terry GILLIAM sous le nom de L'Armée des 12 singes

Partons de l’étymologie, on va gagner du temps, cinéma: mouvement. Voilà la base de tout, le mouvement. On peut donc déjà exclure du monde du cinéma tout ce qui s’apparente à du roman-photo, même si je poserais une exception sur La Jetée, en raison de ses quelques secondes de mouvement qui tranchent radicalement avec le reste du film et lui permettent d’en être un en donnant un sens à tout ce qui leur précède. Mise à part cette exception, le mouvement à l’intérieur du cadre est la base absolue du cinéma, le fait qu’il y soit présent n’est pas une bonne chose, c’est une chose normale. Le mouvement doit donc venir d’ailleurs, et donc de la caméra (c’est pas pour rien si « panoramique » et « travelling » sont deux des termes les plus connus du grand public dans le monde du cinéma). Et quand le mouvement ne vient pas de la caméra, le montage intervient pour nous rappeler qu’on est dans un film et pas ailleurs. Une pièce de théâtre filmée en un seul plan fixe n’est donc pas un film. Au mieux une oeuvre expérimentale, qui peut avoir un intérêt je vous l’accorde (« qui peut » ça veut pas dire que ça l’est à chaque fois, faisez gaffe), mais pas un film. Alors quand j’entends des gens parler de « tour de force » en considérant comme des films génialement couillus ces fameux plans fixes dans lesquels Orson Welles, assis sur une chaise, nous lit un texte frontalement par manque de moyen, j’y vois surtout l’oeuvre anti-cinématographique suprême (à moins que ce ne soit Blue de Derek Jarman).


Mais alors, le mouvement de caméra et les coupes au montage, est-ce que c’est suffisant pour qu’un film soit bon ? Non, c’est juste le strict minimum pour qu’un film en soit un. Parlons mise en scène. Qu’est-ce que c’est quoi la mise en scène ? Au cinéma, on pourrait résumer ça en disant que c’est un genre de mélange entre la mise en scène qu’on trouve au théâtre, les mouvements des personnages et leur situation dans l’espace, et la composition du cadre comme on la trouve en peinture. Dans un film, le but est d’utiliser le mouvement à la fois de ce qu’il y a dans le cadre et du cadre lui-même pour créer du sens et guider le spectateur sans avoir à utiliser les dialogues pour transmettre des informations. Exemple: Dans Les Salauds dorment en paix, les scènes de dialogues ne sont jamais intéressantes pour leurs dialogues en eux-mêmes mais par tout ce qui entoure et relie les personnages. Les rapports de force sont mis en avant par les positions et les déplacements des personnages qui, à travers l’évolution des formes géométriques invisibles qui les relient les uns aux autres, guident l’oeil du spectateur vers les points importants qui sont les vrais centres d’attention du récit. Les dialogues ne sont ici qu’une formalité qui ne servent qu’à « habiller » la scène. Une analyse assez complète d'une séquence de ce film est d'ailleurs disponible sur la chaîne YouTube Every Frame A Painting, que je vous recommande vivement si vous ne la connaissez pas déjà, car c’est sûrement la meilleure émission de cinéma trouvable sur le web.


Les Salauds dorment en paix (1960) d'Akira KUROSAWA - film

trop injustement méconnu de Kurosawa, adaptation

assez libre d'Hamlet, et qui est un modèle de mise en scène

Venons-en maintenant au second grand outil du cinéma (je ne parlerai pas du son dans cet article, concentrons-nous avant tout sur l’image, chaque chose en son temps): le montage. Là pour le coup, il n’est plus question de définir un outil en le comparant à ceux des autres formes d’art, le montage est l’exclusivité absolue du cinéma, et c’est pour ça que quand on fait un film, il faut savoir s’en servir intelligemment. Et alors qu’est-ce que c’est quoi « un montage intelligent » ? Deux écoles s’affrontent, à vous de choisir votre camp: l’école américaine, qui prône le montage comme un moyen de rendre avant tout fluide et compréhensible l’action, et l’école soviétique, qui privilégie l’association d’idée à travers un montage plus symbolique (ce qu’Eisenstein appelait le montage dialectique). L’idéal selon moi, étant d’arriver à un résultat qui permet à la fois de conserver une fluidité dans le récit, et de jouer sur les associations. Et pour qu’on ne me reproche pas de ne parler que de vieux films, prenons comme exemple un film sorti en 2016 qui utilise le montage de façon à créer du sens: dans The End de Guillaume Nicloux (un film DTV, vous m'en voudrez pas, j'avais prévenu au début de l'article), chaque cut contient en lui-même une ellipse de quelques secondes qui crée un sentiment dérangeant, et ruine la capacité du spectateur à situer clairement l'action dans l’espace, l’objectif (réussi) étant de mettre le spectateur dans la même situation de trouble et d’inquiétude que le personnage principal qui se retrouve perdu en forêt.


C’est pour rendre identifiables et compréhensibles les procédés les plus régulièrement utilisés que sont enseignées des règles de mise en scène et de montage élémentaires (comme la règle des 180°, celle des 30°, l’interdiction de certains rapports de plans, etc.). Et comme dans tous les autres arts, les règles du cinéma peuvent être transgressées, à condition que la transgression serve à quelque chose. Si une règle de base est enfreinte, et que ce manquement de rigueur n’apporte aucune information à une scène, on a simplement affaire à une erreur. Un des exemples les plus évidents de règle volontairement brisée au cinéma est remarquable dans The Servant de Joseph Losey, dans lequel la règle des 180° (en gros, la règle qui dit que quand on filme un dialogue entre deux personnages en champ/contrechamp, la caméra ne doit pas franchir une ligne imaginaire tracée entre les deux personnages pour ne pas perdre le spectateur dans l’espace) est constamment foutue en l’air pour inverser les rapports de force entre les personnages principaux et faire comprendre l’évolution de leur relation.


La Grève (1925) de Sergei Mikhailovich EISENSTEIN - film emblématique

de l'utilisation du montage parallèle, notamment grâce à son association

entre des soldats tirant sur des manifestants et des images d'abattoirs bovins

Voilà. Ça ira pour aujourd'hui. J’aurais sûrement pu continuer sur des pages et des pages en creusant un peu plus tant il y a de choses à dire, mais il me semble qu’une introduction générale était un meilleur choix pour introduire les épisodes suivants (je sais toujours pas si on parle d’épisodes pour des articles écrits). À côté de ça, vous pouvez vous pencher sur des bouquins bien connus concernant le cinéma, comme Qu’est-ce que le cinéma ? d’André Bazin, les Notes sur le cinématographes de Robert Bresson (même si certaines de ces notes, si elles pouvaient avoir du sens il y a 40 ans, me paraissent un peu dépassées aujourd’hui) ou même sur des trucs un peu plus particuliers comme Le Temps scellé d’Andrei Tarkovski qui, même s’il n'a pour vocation que d'expliquer les intentions d'un cinéaste (mais bon, pas n’importe quel cinéaste non plus) arrive à pousser la réflexion sur le cinéma, et même l’art en général, assez loin de manière très claire.


Allez, à bientôt pour la suite, d'ici là matez des films et... et ce que vous voulez.

Des bisous.



 ceci est un message de captain prozac 

 

Salut, c'est Prozac, le mec derrière le site. Juste pour dire qu'il faut éviter de prendre tout ce que je dis au pied de la lettre et me considérer comme le Grand Gardien de la Vérité, de la Morale et du Bon Goût (même si c'est bien le genre de truc que j'aime dire). 

Voilà. Éclate-toi, et va voir des films.
 

Bisous.

 sorties à surveiller: 

 

17/06:  Swiss Army Man de Daniel SCHEINERT & Dan KWAN

10/08: Parasol de Valéry ROSIER

05/10: Mademoiselle de Park CHAN-WOOK

 articles récents 
bottom of page